Moi, je suis né à Tokyo. Mes parents travaillaient là-bas depuis plusieurs génération, il s’agissait une famille d’anglais qui avaient implanté leur société et qui la géraient sur place pour que tout se passe bien, alors quand ils ont eu l’idée d’avoir un enfant, eh ben ce fut là-bas. Je suis donc né au milieu d’un tas de petits gamins aux yeux bridés, totalement inconscient de ce que me réservait mon avenir, et c’est depuis tout petit que j’ai baigné dans la culture du pays avec les mœurs en vigueur là-bas. Je parle pas du taux de suicide élevé chez les jeunes hein, mais plutôt du respect des uns envers les autres et de l’esprit de communauté unique des Japonais. Ils pensent au bien de leurs semblables avant leurs propres envies égoïstes, et je trouve ça très beau. Ouais… mais au final ça m’aura pénalisé par la suite parce qu’en grandissant je suis resté un gars très gentil, trop gentil, « celui qui sait pas se défendre », et ma différence me valait quelques discrimination de la part des mecs qui étaient en fait jaloux parce que les filles aimaient le type européen.
Très tôt, j’ai commencé à vouloir imiter mes parents en prenant des cours d’art martiaux qu’ils pratiquaient tous deux le soir. Ca me fascinait de voir des mouvements aussi « gracieux » qui se trouvaient être de véritables armes si on les utilisait pour faire du mal, et j’ai toujours fais de mon mieux pour atteindre le niveau de mon père au plus vite, ce qui lui procurait une certaine fierté, et par conséquent cette même fierté se répercutait sur moi. Il faut dire que c’est à peu près la seule chose pour laquelle j’étais doué, tous ces sports qui demandaient de la concentration et du physique, parce que à l’école c’était vraiment pas ça. Je suis pas un mec intelligent par définition si ce n’est que je sais me servir de mes mains et que j’ai suffisamment d’instinct pour les situations d’urgence. C’est un peu dommage que j’aie pas les capacités pour reprendre l’entreprise de mes parents à cause de ça, mais je pense que dans le fond, c’est mieux. Je suis pas un bureaucrate, j’ai besoin d’être à l’air frais et de bouger. J’ai un don pour tout ce qui touche aux activités manuelles, alors autant en rester à là. C’est très tôt que j’ai compris où étaient mes limites, et mes parents ont dû l’accepter aussi, car même en travaillant dur je n’arrivais qu’à des résultats très moyens… encore heureux que j’étais bilingue pour compenser un peu mes lacunes dans tous les domaines intellectuels.
En grandissant, on a commencé à remarquer un comportement très particuliers chez moi. J’avais des vagues de colère très intenses qui faisaient ressortir chez moi un désir de faire mal aux personnes qui blessaient mes proches. Ce n’était même pas du sadisme comme chez les psychopathes, mais juste l’envie de faire payer et de les réduire en pièce. À l’époque, je n’étais pas encore maître de mes émotions, et je n’avais parlé de cette pathologie à personne jusqu’à ce que ce soit ma prof principale qui contacte mes parents pour leur parler de mon comportement après que j’aie tabassé un gars une fois en sortie de cours. Après discussion, j’ai promis de me canaliser, je me suis excusé au gus, mais ça ne voulait pas dire que je le pardonnais pour ce qu’il avait fait. En réalité, je me souviens de chaque individu à qui j’ai réglé son compte durant mon adolescence parce que je n’étais pas capable de contrôler ma violence… en particulier d’un. Mais il est mort celui-ci. Et d’une façon très… bref. C’est un sujet tabou qui a pourtant fait la une des journaux, mais pas de sang. Le problème avec le fait que je pratiquais le combat à main nues à un niveau très élevé, c’est que certaines techniques étaient interdites car elles se trouvaient être dangereuses lorsqu‘on les maîtrisait bien… et… un soir j’ai fais abstraction de ce que mon maître m’avait dit à ce sujet en utilisant une de ces mouvements sur un jeune homme qui persécutaient depuis un moment un ami (que je sentais être à deux doigts de se suicider). Sur le coup, je me suis étonné moi-même. Il a suffit d’une prise en plaçant les mains aux bons endroits sur ses points vitaux… et il s’est écroulé par terre, le pouls mort. J’avais 15 ans, et… j’étais à présent un meurtrier. Ma colère avait vite fait place à de la peur, peur des représailles, peur du jugement pour mon acte, et aussi de la culpabilité pour m’être emporté comme je l’avais fais. Mais j’avais agis ainsi pour défendre un proche… et tout le monde sait qu’on ne touche pas à mes proches…
Ma conscience ne supportait pas ce poids qui pesait sur moi, il fallait absolument que je dise ce qui s’était passé à quelqu’un, à commencer par mon père et ma mère qui ne m’ont pas cru même en voyant les nouvelles à la télé concernant cette mort subite inexplicable dans la rue. On a parlé de crise cardiaque, mais les symptômes ne correspondaient pas, alors petit à petit, les journalistes se sont empressés de faire des suppositions toujours plus folles et mystiques jusqu’à ce que le sujet des techniques de combat et de la violence juvénile soit abordée. Cette histoire m’avait rendu malade, je n’osais plus sortir de la maison, je n’osais plus regarder les gens en face, je voulais partir de ce pays, mon Karma était certainement passé dans le négatif et je ne savais pas comment me faire pardonner, ni comment canaliser ma violence.
Durant mon enfermement, j’ai commencé à ouvrir des livres et je suis tombé sur l’un d’entre eux traitant du Yoga et de la méditation. Est-ce que c’était pour moi? J’ai essayé, mais j’y arrivais pas parce qu’il n’y avait personne pour m’écouter en dehors de moi-même, et que ça ne me suffisait pas… alors celui qui a tenté de se suicider en fin de compte, c’est moi, et c’était peut-être mieux comme ça. Après tout, j’avais dépassé les limites une fois, alors pourquoi est-ce que je ne recommencerais pas? Ma tête était devenue un endroit très désagréable.
17 Janvier 2005, ma mère rentrait des courses et fit un détour par la salle de bain pour se laver les mains après avoir déposé son sac. Ce qu’elle ne s’attendait pas à voir, c’était son fils au fond de la baignoire remplie d’eau qui menaçait de déborder. J’avais les poumons à moitié inondés, et pendant un laps de temps que je n’aurais su définir, je me suis vu de l’extérieur comme un spectateur de la scène qui se déroulait sous mes yeux. On me sortait de la baignoire, les urgences étaient appelées et bientôt on allait me transférer à l’hôpital. J’ai vu cette limite entre les deux mondes apparaître pendant que j’étais hors de « moi », et la paix que je percevais de l’autre-côté de la frontière m’attirait, mais au moment où j’ai voulu partir, il y a quelqu’un qui m’a attrapé par le bras, et une voix masculine qui m’a dit que « c’était pas encore le moment pour moi de m’en aller, gamin », qu’il fallait que j’y retourne, et que je ne serais plus seul pour faire face à mes problèmes à présent, car on serait deux. « Il » me l’a promit, alors je l’ai écouté. Je me sentais un peu comme Link dans le jeu Zelda, avec sa petite fée qui lui tourne tout le temps autour pour lui dire quoi faire, et ça a suffit à me rassurer pour me ramener à mon corps.
Alors voila, j’ai finis par me réveiller sur un lit et par revoir mes parents, j’ai pleuré comme j’avais jamais pleuré avant, et ils ont enfin accepté de croire à mon histoire quand je leur disais que j’avais tué quelqu’un. Ce qui était certain après ça, c’est que je ne pouvais plus rester à Tokyo. Il fallait que je parte, que j’arrête les sports de combat, et que je trouve quelque chose pour me canaliser une bonne fois pour toutes. J’étais cruellement en besoin de pardon après ce que j’avais fais, et encore aujourd’hui je demande chaque soir à ce qu’on m’excuse et à ce que le vice qui est en moi s’en aille.
Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais entendu parler de la présence qui m’a poussé à me « réveiller » après ma tentative de suicide, donc non je n’ai pas un dédoublement de la personnalité du tout, mais j’ai remarqué quelques changements dans mon comportement, notamment le fait que j’arrive à faire des raisonnements qui me paraissent vachement intelligents certains jours alors qu’en temps normal j’arrive pas à voir plus loin que le bout de mon nez, ou alors le fait de réfléchir à deux fois avant de me lancer dans quelque chose. Je me sens plus posé de manière générale, plus attentif aussi, et il m’arrive d’avoir des intuitions concernant les choix à faire lorsque j’hésite et que je ne sais pas à qui m’adresser. Je suis sûr que j’ai un ange gardien depuis mon accident, c’est certain! En tout cas, quand mes parents m’ont demandé où je voulais aller après qu’on ait discuté de mon transfert dans une autre ville, je leur ai dis que ce serait San Francisco. Ils m’ont regardé, je les ai regardé, et on a finit par changer d’avis parce que l’endroit ne me conviendrait pas. J’ai accepté ça même si ça m’a poussé à faire la gueule quelques jours, et puis j’ai cherché d’autres endroits jusqu’à tomber sur le Texas. Ca avait l’air bien, et puis il y avait un sport que j’avais toujours voulu essayer qui était très représenté dans cet état: Le football américain. Quand j’ai dit ça à ma mère, elle a fait de gros yeux en me disant que c’était beaucoup trop violent et blablabla… ce qui en soit n’était pas faux, mais j’ai toujours été borné, alors j’ai décidé que j’en ferais quand même. Dallas, j’irai à Dallas. Et c’est comme ça que j’ai vécus quelques années dans cette ville en faisant mon Lycée là-bas, en m’habituant aux gens et à la mentalité américaine. C’était pas trop facile au départ, mais j’ai vite compris qu’il s’agissait juste d’être celui qui avait la voix la plus forte pour me faire entendre.
De fil en aiguille, j’ai finis dans l’université conservatrice uniquement parce que l’équipe de foot en valait la peine et qu’elle voulait bien de moi au vu de mes « stats » au lycée. J’ai pas d’autre raison d’être ici… enfin je crois. Mais je veux quand même voir San Francisco pour les vacances.