Elle est là, étendue sur un lit d’hôpital, la jeune fille aux cheveux blonds. Tout est blanc, stérile autour d’elle et sa crinière lui fait comme une auréole autour de la tête, la jeune fille aux cheveux blonds. Tout le monde pleure, tout le monde gémit, une fille lui tient fort la main, la jeune fille aux cheveux blonds. Mais elle ne bouge pas, elle respire à peine, des tuyaux la relient de partout à des machines, la jeune fille aux cheveux blonds. On dit que c’est triste, qu’elle est encore jeune, qu’elle mérite encore de vivre, la jeune fille aux cheveux blonds. Il paraît qu’elle a été heurtée par une voiture, que plus jamais elle ne sera la même, que plus jamais elle ne dansera, la jeune fille aux cheveux blonds. On se demande si elle entend quoique ce soit, si jamais elle se réveillera à nouveau, si on la verra sourire encore, la jeune fille aux cheveux blonds. Mais dans son sommeil cotonneux, loin de toute la souffrance de ce monde, veut-elle réellement revenir, la jeune fille aux cheveux blonds ?

« La naissance d’Almeida ? Sans aucun doute le plus beau jour de ma vie. Ma petite princesse. C’est pour ça que j’ai tenu à l’appeler Almeida, vous savez ? Ça veut dire princesse en celte. Je dois avouer que je n’avais jamais pensé être père avant qu’elle n’arrive et que, même si j’étais content sur le coup, j’étais jeune et être père me passait par-dessus la tête. Mais quand j’ai vu son petit visage à la maternité, je suis tombé littéralement amoureux d’elle. Et j’étais plus que jamais déterminé à lui offrir une vraie vie de princesse, elle le méritait. Plus elle grandissait et plus l’évidence me sautait aux yeux : ma fille était parfaite. Plus elle grandissait, plus elle était jolie. Elle était aussi pieuse qu’une irlandaise doit l’être, plus intelligente que ce que j’aurais pu espérer, elle était gentille avait tout le monde. Peut-être un peu trop. Mais c’était mon rôle de veiller sur l’enfant qu’elle était. J’avais beau avoir une autre fille, je n’arrivais pas à l’aimer comme j’aimais son aînée. Victoria était toujours la première en tout et avec ça, elle était douée en danse classique et en musique. Que demander de plus au ciel ? Rien, absolument rien. Il m’avait offert la perfection incarné en ma petite fille. Je me croyais l’homme le plus chanceux au monde. Ce qui j’avais oublié c’est que, ce que le Seigneur donne, le Seigneur peut le reprendre aussi vite. Le jour de l’accident, j’ai cru mourir. En croyant perdre ma fille, c’est tout que je perdais. J’étais effondré, dévasté. Si elle avait disparu, je ne m’en serais jamais remis et je l’aurais sans doute suivie. »

John O’Callaghan, père d’Almeida Victoria O’Callaghan.

« Ma sœur, ce modèle de perfection. Cet ange venu sur Terre. C’est comme ça que tout le monde la voit, c’est comme ça qu’elle se comporte, tout le temps. Et je me demande si elle se rend compte qu’elle n’est qu’humaine dans le fond. Il est dur d’exister quand elle existe, d’être dans la même pièce qu’elle, personne ne tient la comparaison. Elle est parfaitement moralement, elle est parfaite physiquement. C’est proprement insupportable. A côté de ça, comment voulez-vous que je me fasse ma place à moi dans cette famille ? Alors j’ai pris la tangente. Parce qu’elle était parfaite, je devais être son contraire. Nous étions nées pour être le jour et la nuit. Elle s’évertuait à me rendre plus parfaite mais j’avais horreur de ça. Je la détestais, profondément. Parce que son existence m’était insupportable. Elle arrivait à empiéter sur la mienne et me bouffait littéralement. Nous ne nous entendions pas et mes parents prenaient toujours son parti. Ils ne faisaient que creuser d’avantage le fossé entre nous. Je sais que Vicki n’essayait que de m’aider mais je ne voulais pas de son aide, elle pouvait se la foutre au cul. Puis il y a eu l’accident. C’est là que j’ai compris ce que je perdrais réellement si ma sœur venait à disparaître, que si elle était si parfaite ça me donnait le droit de ne pas l’être et donc par conséquent que mes parents me laissaient vivre plus que ne lui en laissait l’occasion. Elle faisait ça pour moi en quelque sorte. Elle m’aimait. Et je l’aimais aussi. »

Barbara Darcy-Rose O’Callaghan, petite sœur d’Almeida Victoria O’Callaghan.

« Almeida ? Vous voulez dire V, pas vrai ? Cette fille… elle me vend du rêve ! Il paraît qu’avant, elle était prude. Elle n’était que l’image qu’elle donnait d’elle : une fille parfaite. Parfaite et qui se préserve pour son fiancé. Un sacré gâchis si vous voulez mon avis. Elle est carrément canon avec ses… vous savez ? Voilà quoi ! La voir se trimballer tous les jours dans son petit uniforme, souriante et disponible pour tout le monde ça devait carrément être de la torture ! Mais voilà elle a changé paraît-il, depuis son accident. Moi je suis arrivé après donc je ne fais que dire ce que j’en ai entendu dire hein ? Mais depuis, elle est entrée ici comme moi et, de ce que je vois, elle est toujours la même pendant les cours. Mais pendant les soirées… c’est le jour et la nuit ! Elle est bien plus libérée qu’elle ne l’a jamais été. Oh, elle se préserve toujours, mais dans une moindre mesure. Juste assez pour ne pas éveillé les soupçons de son fiancé. Ca m’a pas empêché d’en profiter ! Fiancé ou pas, c’est pas mes affaires ? »

Témoignage anonyme d’un élève du Dallas Conservative College.

« Tout le monde s’inquiète encore, tout le monde a de la peine pour moi. Mais c’est eux qui me font me sentir plus mal que je ne le suis. L’accident… je m’en souviens à peine, simplement par bribe. C’était Noël, je faisais les boutiques avec Cameron. J’étais toute excitée, c’était toujours le cas au moment des fêtes de fin d’année. Et puis, je venais d’apprendre que j’allais intégrer Julliard pour continuer d’étudier la danse, vous imaginez ? Mon rêve de petite fille allait se réaliser. J’allais devenir une grande ballerine. J’allais parcourir le monde. J’avais tellement hâte ! Après ça, je me souviens à peine de ce qu’il s’est passé. J’ai voulu prendre l’ascenseur. C’est comme si j’étais sourde et que tout bougeait au ralenti. Je suis montée dans la cabine, j’ai senti que je tombais, sans vraiment comprendre pourquoi, j’ai vu l’horreur sur le visage de Cameron puis plus rien.
Quand je me suis réveillée, j’étais à l’hôpital. On m’a dit que j’étais restée un mois dans le coma. Que la cabine s’était décrochée. Que j’avais les jambes cassées. Que plus jamais je ne pourrais danser. Mon avenir, mes rêves… tout s’était fracassé avec la cabine. Au début, j’étais perdue. Contre coup du choc, de l’accident et des médicaments selon les médecins. On m’a mise sous antidépresseurs, au cas où. On m’a mise sous morphine pour que je ne sente pas la douleur. Mais ma douleur était ailleurs. Sans mes rêves je n’étais plus rien. Que me restait-il ? Quel était mon avenir à présent ? Mais ce qui me fait le plus mal c’était de me rendre compte que… je n’avais pas vécu. J’avais 18 ans, tout ce qu’on pouvait rêver d’avoir dans la vie, un fiancé parfait mais je n’avais absolument rien vu, rien expérimenté. J’avais 18 ans mais je vivais comme si j’avais la trentaine révolue. Tout n’était que platonique avec Cameron. J’avais du succès, je n’étais pas assez aveugle pour ne pas le voir mais j’étais absolument fidèle à Cameron. Mais je venais d’échapper à la mort. Et je n’étais pas prête à laisser ma vie m’échapper de nouveau. J’allais vivre, enfin. Quoique ça m’en coûte. Je reprends ma vie en main. Almeida est morte. Victoria est dans le coma. Dites bonjour à V. »

Extrait du journal d’Almeida Victoria O’Callaghan. Février 2009.